Démarche

« PAYSAGES TRANSPARENTS
Sur le fin papier de santal, l’encre de Chine forme des taches et laisse des blancs. Au premier regard, les œuvres de Claire Betti semblent abstraites. Avec leurs mille nuances de gris, elles révèlent peu à peu des paysages intimes et familiers.
Ici, des roseaux ondoient sous la brise. Là, des branches résistent aux rafales du vent. Ailleurs, une brume recouvre un marécage tandis qu’un nuage drape une montagne lointaine. Rien n’est explicite. Tout est fugitif, à peine suggéré. C’est l’art de Claire Betti. Elle nous montre des fragments de notre univers, mais l’endroit est impossible à géolocaliser. Il est quelque part dans notre tête ou notre cœur.
Depuis les années 90, l’artiste lausannoise s’est exprimée par l’aquarelle, l’estampe ou la gravure. Inspirée par le moine Shitao, calligraphe, poète et paysagiste du XVIIe siècle, elle pratique désormais l’encre de Chine. Pour le célèbre peintre chinois, l’observation était à la base de la connaissance: «Maintenant, les Monts et les Fleuves me chargent de parler pour eux; ils sont nés en moi et moi en eux.» C’est ce que vit Claire Betti. Au fond de la vallée du Trient, devant le lit torturé du Rhône à Loèche ou dans d’autres régions du monde où ses pas l’ont conduite, elle s’est immergée dans les gorges, les vallons et les montagnes. Intériorisée, la nature s’est muée en ressenti intime de l’environnement. Ces multiples paysages sont nés «en» elle. Ensuite, dans l’atelier, les perceptions mémorisées guident son pinceau au fil d’impulsions fugaces.
Les paysages de Claire Betti nous parlent en alliant deux qualités en principe peu compatibles, la transparence du rêve et la densité du réel. Cette alchimie ne résulte pas seulement des fulgurances de l’inspiration, mais aussi des outils chinois que l’artiste a fait siens. Y a-t-il des arbres ici, ou plutôt des joncs? Et là, est-ce de la roche, de la neige ou plutôt un nuage? Devant ces morceaux d’un monde tangible, toujours en mouvement, l’imagination du spectateur perçoit alors un endroit qui lui semble connu, spontanément intelligible. »
Marylou Rey,
journaliste

LA TECHNIQUE
Depuis 2017, l’ensemble des travaux sont des lavis marouflés sur papiers chinois. Le lavis est une peinture monochrome d’une seule encre noire plus ou moins diluée.
Le papier utilisé est fait main à partir d’écorce de santal bleu ou d’écorce de mûrier. Les peintures sont réalisées sur ce papier plus ou moins sec, humide ou détrempé avec des pinceaux, des bâtons ou des brosses selon l’effet souhaité. La position du pinceau, la force et la vitesse jouent sur l’épaisseur et la netteté des lignes.
Les différents niveaux de gris permettent d’obtenir différentes profondeurs et d’intensité de lumière.
Le blanc est obtenu par l’absence d’encre.
De nouveaux traits complètent au fil des jours le résultat obtenu.
Ainsi se compose petit à petit le paysage en résonance avec les perceptions fugitives mémorisées dans la nature.
La difficulté principale du lavis sur ces papiers réside dans le fait qu’il n’autorise aucune correction. Chaque trait laisse définitivement sa trace.
La recherche du juste équilibre entre des détails minutieux et d’épais traits vigoureux est une difficulté de la technique. Les jeux d’ombre et de lumière créent la forme.
Le lavis est une manière de travailler qui repose sur une maîtrise du trait ainsi que sur l’équilibre entre le vide et le plein. Le trait jeté avec vigueur sur la feuille suit un flux naturel. Une notion de spontanéité est donc omniprésente et correspond aux caractéristiques de la technique.

LA DEMARCHE

1992 – LA GESTUELLE

Toutes premières encres 1992/2004, peintes dès la fin de mon travail de comédienne.
Conscience, attention et mémoire des mouvements du corps dans l’espace, danses intérieures. Dès lors, prendre un pinceau pour exprimer les émotions artistiques est la continuité naturelle de cette approche esthétique amorcée avec le théâtre. Peindre des corps en mouvement : dance du trait, souffle du trait, rythme du trait, le trait comme un corps qui se meut, pictogramme sur un palimpseste de mouvements enracinés…

2004 – LA TRANSITION, LE TRAIT
 
…après ces premières années de peinture, découvrir de nouvelles bases et d’autres savoir-faire.
Peinture de paysage; encres, pigments et crayons.
Le spectacle de la nature se transforme peu à peu en abstraction, en intuition paysagée. Conjonction des textes chinois du XVIIème et plus précisément « L’unique trait de pinceau » du moine Shitao avec 7 années de recherches et de techniques théâtrales: percevoir et s’imprégner de ce que l’oeil observe, éprouver l’espace, en livrer le terreau, rechercher le geste juste à la résonance authentique.
Alors reprennent les fouilles…
« On sait bien où l’on veut aller, mais on ignore quand, comment, par quel chemin on y parviendra. Inutile de s’en trop soucier d’avance; on verra bien… »
Théodore Monod – naturaliste, biologiste spécialiste du désert.

2004-2015 – PAYSAGE, ESTAMPE GRAVÉE SUR BOIS

… différentes techniques de gravure: sur pierre, sur bois, sur plexiglas. Nouveaux échanges et nouvelles prises de conscience. En 2015, première exposition collective d’estampes gravées sur bois…
« Si vous prenez garde aux salissures de quelques vieux murs ou aux bigarrures de certaines pierres jaspées, il s’y pourra rencontrer des inventions et des représentations de divers paysages, … et une infinité d’autres choses parce que l’esprit s’excite parmi cette confusion et qu’il y découvre plusieurs inventions, »
Léonard de Vinci – chapitre XVI – Traité de la peinture.

2016 – PAYSAGE, ESTAMPES GRAVEES SUR PIERRE

Après avoir choisi une ardoise, je la grave partiellement. Je commence par peindre à l’encre, sur la pierre, les premiers traits du futur paysage en jouant avec les lignes gravées. J’imprime cette première étape en posant un papier fin, plus ou moins humide selon l’effet souhaité. Je laisse ensuite sécher, ou pas, ce papier. Puis je trace un nouveau trait d’encre sur la pierre, pour compléter le paysage d’une nouvelle étape d’impression. J’effectue plusieurs fois cet exercice, en complétant chaque résultat obtenu. Ainsi se compose petit à petit le paysage. Ce va et vient permet une distance nécessaire, comme un éclaircissement, afin de retrouver les perceptions fugitives. Ainsi chaque estampe est unique.
2016 exposition à la galerie de La Librairie Sylviane Friederich à Morges.
« Nature saisie dans la masse. (…) Vide d’arbres, de rivières, sans forêt ni collines mais pleine de trombes, de tressaillements, de jaillissements, d’élans, de coulées, de vaporeux magmas colorés qui se dilatent, s’enlèvent, fusent
Préface d’Henri Michaux, « Zao Wou-Ki » Claude Roy, éd J. Goldschmidt, 1970

2017 – PAYSAGE – GRAVURE SUR PLEXIGLAS et TECHNIQUE MIXTE

Printemps 2017, encres et gravures sur plexiglas. Exposition à la galerie du Théâtre du Pommier de Neuchâtel en avril.
Griffe d’encre noire sur le plexi, associée à l’encre du pinceau, gestes de décision, de flèches lancées qui parcourent de nouvelles visibilités et libèrent de nouvelles contrées.
« Les types imaginaires les plus divers, qu’ils appartiennent à l’air, à l’eau, au feu, à la terre dès qu’ils passent de la rêverie au poème, viennent participer à l’imagination aérienne par une sorte de nécessité instrumentale. L’homme est un tuyau sonore, l’homme est un roseau parlant.»
Gaston Bachelard (La poétique de l’espace-1958)

2017 – LE PINCEAU, L’ENCRE, LE PAPIER – LE LAVIS
Chine, quatre mois de cours de peinture de paysage avec la professeure DAI Guangying à l’Académie des Arts de Hangzhou.
Perfectionnement des connaissance des outils : pinceau, encre et papier. Travail sur des papiers de santal bleu, des papiers mûrier et de l’encre noire aux grandes capacités révélatrices. Apprentissage du marouflage (collage/montage)  réalisé selon la technique traditionnelle.
Le noir me parle inconditionnellement. C’est un noir chaud, qui produit des tonalités brunes, un noir généreux, plein de contrastes, de potentiels chromatiques et d’expressions infinies. Il y a le noir profond, mis en évidence par la lumière qui est l’absence de noir. Il y a aussi ses multiples nuances qui, selon sa dilution, donnent une impression tamisée de lumière, une atmosphère de pénombre chargée de mystère, d’infini.
…Sans relâche, questionner la démarche. Pas à pas signifier:
Ne pas reproduire un paysage précis, chercher sans relâche à traduire les sentiments qu’inspirent le paysage, tenter de redonner l’esprit qui anime cette nature : les hurlements du vent, la force de la roche, le silence du marécage, le cri de l’oiseau, la paix de l’hiver sur le lac enneigé.
Sensations et intuitions traduites à l’aide de signes intimement retranscrits…

2018 – PERCEPTIONS ET LUMIERES

S’appliquer à faire le lien entre d’anciennes habitudes techniques et tant de nouvelles découvertes exercées en Chine, étape difficile à franchir. Il s’agit d’intérioriser puis de faire émerger le nouveau tout en gardant l’identité propre de son travail.
Exploration des ténèbres, descente dans la caverne sombre des méandres intérieurs où chaque voyage est un départ à la géographie inconnue afin d’apprivoiser l’obscurité, la traduire en mille et une nuances de lumière.
Là infuse le processus créatif.
Exposition à Kochi, Kerala, Inde. Urgence!
Se dépasser…
Préparer l’exposition de Paris, après un an et demi d’exploration commencée à Hangzhou, cette nouvelle étape permet d’affirmer plus encore le style.

2019-2022 – POURSUIVRE  LA RECHERCHE

Suivra, tout au long de 2019 la conception et l’impression du catalogue « paysage itinérant ».

Après toutes ces années de vagabondage le long des terres, des roches, des ciels et des eaux, le rythme du temps se ralentit, comme apaisé.
Nouvelle immersion en atelier, poursuivre la recherche, traverser le réel, faire un pas de côté, savourer l’étrangeté, tenter d’en traduire le mystère.

« Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. »
Marcel Proust (A la recherche du temps perdu – Le temps retrouvé).

 

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